JULES FRANCOIS BOCANDE : Au panthéon des immortels
« Les morts ne sont
pas morts. Ils sont dans l’eau qui dort… », disait Birago Diop. Cette
maxime pourrait bien être appliquée à l’illustre Jules François Bocandé. Il
n’est pas mort. Il est depuis ce lundi O7 mai 2012, dans le rectangle vert,
dans le ballon, sur le banc de touche et dans le cœur du Sénégalais qui reste à
jamais accroc de foot.
Autant le chanteur Youssou Ndour a révolutionné la musique sénégalaise
et en a fait une industrie au point que d’autres qui n’étaient même prédestinés
à ça en ont fait un métier, autant Mohamed Ndao «Tyson» a bouleversé la lutte
avec frappe et a permis aux lutteurs d’y gagner leur vie, autant aussi Jules
François Bocandé a été le footballeur qui a boosté le football moderne au
Sénégal, au point d’être l’idole de toute une jeunesse. Dans les années 80 et
au début des années 90, il n’existait presque pas un jeune amoureux du ballon
rond qui ne voulait pas suivre ses pas pour devenir un joueur professionnel. Ils
voulaient tous, ressembler à ce footballeur, talentueux, élégant, à la crinière
qui renvoyait au lion qu’il était. Si aujourd’hui la tête du Turc Umit Davala
fait fureur sur les pelouses, à l’époque, le rasta était à la mode pour,
incontestablement, ressembler à Bocandé devenu, à force de travail,
d’abnégation et de talent, subitement une icône du football au niveau de l’Hexagone.
Le mérite de Jules François est d’autant plus grand que le championnat de
France était l’un des championnats les plus relevés, sinon le plus relevé
d’Europe. Bocandé se frottait aux internationaux français de la trempe de
Dominique Rocheteau, Fernandez, pour ne citer que ceux-là. A son actif, 223
matchs en D1 française et quelque 69 buts à son tableau de chasse. Ses passes
décisives ne se comptent pas. Très connu sur les pelouses belges où il avait
fait les beaux jours de trois clubs en D3 et D1, Bocandé a joué 138 matches
pour trouver le chemin des filets à 43 reprises. Dans ce pays, il a évolué tour
à tour à, Tournai (D3) puis à Seraing (D1) avant de rejoindre le FC Metz, Paris
Saint-Germain, l’OGC Nice et le RC de Lens en France. C’est dans ce pays et
plus précisément à Metz, que Jules Bocandé va écrire ses plus belles pages
d’’est dans ce pays et plus précisément à Metz, que Jules Bocandé va écrire ses
plus belles pages d’histoire dans le football professionnel. Au sommet de son
art, l’international sénégalais coiffe au poteau le mythique buteur français du
PSG, Dominique Rocheteau. Avec 23 réalisations, il devient le meilleur buteur
du championnat de France de la saison 1985-1986.
Pour couronner le tout, il accroche toujours avec le FC Metz, le
Barcelone de Bernd Schuster et, s’il vous plaît au Nou Camp en coupe européenne
des vainqueurs de coupe.
Pourtant Jules François Bocandé, issu de la région de la Casamance
d’où est née la rébellion en 1982, a toujours revendiqué sa nationalité
sénégalaise. Il a toujours fièrement porté le maillot vert-blanc avec la tête
du Lion. D’ailleurs, c’est au plus fort des attaques rebelles du MFDC contre
l’armée en Casamance, au milieu des années 80 qu’il se réclamait Sénégalais
tout comme le groupe Touré Kunda dont les membres sont issus de cette verte région.
C’est dire que Bocandé, à l’image des frères Touré du Touré Kunda, symbolisait le
Sénégalais de la Casamance qui portait haut le flambeau du Sénégal sur la scène
continentale et internationale. A l’image d’un Youssou Ndour, il fut un digne
ambassadeur de son pays.
Suffisant pour que depuis lundi 07 mai dernier, le Sénégal du football
soit plongé dans la douleur avec l’annonce du décès de l’ancien capitaine des
«Lions» Jules François Bocandé à Metz, en France. Une ville où il a écrit ses
lettres de noblesse avec le sport roi.
Casa Sport ou début d’une
riche carrière
Né un 25 novembre 1958 à Ziguinchor au Sud du Sénégal, Jules François
a fait ses premières armes dans la petite catégorie de sa région natale. Elu
meilleur jeune footballeur sénégalais, c’est le Casa Sport, le club phare de la
ville qui l’enrôle dans son groupe de performance. Si à ses débuts son entraîneur
lui faisait jouer comme libéro, il va monter d’un cran au fil de ses
apparitions dans le rectangle vert et fini par s’imposer au milieu de terrain
relayeur. D’ailleurs, c’est à ce poste qu’il gagne son premier trophée devant
le Jaraaf de Dakar (2-0), en coupe du Sénégal en 1979. Une année plus tard, il
refoule la même pelouse du stade Demba Diop pour disputer sa seconde finale
consécutive… devant l’autre grand club de la capitale à savoir la Jeanne d’Arc
de Dakar. Une rencontre qui s’est terminée en queue de poisson. L’arbitre Bakary
Sarr est agressé par Jules Bocandé qui est jugé coupable par la commission de
discipline. Le verdict tombe comme un couperet : interdiction à vie de
jouer au football sur toute l’étendue du territoire sénégalais.
Face à cette situation, l’unique alternative pour celui qui respirer
que par et pour le foot ne pouvait être que de s’exiler. La Belgique lui ouvre
ses frontières. C’est Tournai, un club de troisième division qui l’accueil à
bras ouverts. Puissant et rapide, Jules Bocandé, très réceptifs face aux
conseils de son entraîneur, va monter encore d’un cran pour se positionner en
attaque. Et c’est le début d’une longue et riche carrière professionnelle qui
va durer plus de dix ans. Car après Tournai (D3), Seraing (D1 belge) s’attache ses
services avant qu’il ne dépose son baluchon à Metz puis Paris Saint Germain
(Psg), Nice et Lens. Sur le plan offensif, il a à son compteur plus de 140 buts
dont 20 en 73 sélections en équipe nationale.
Metz, terre d’exil et de confirmation
Le mariage entre Jules Bocandé et Metz est une vieille histoire qui
débute un jour d’été de l’année 1984. Après avoir fait les beaux jours du
championnat belge avec Seraing et un titre de meilleur buteur, ce club
rencontre des difficultés financières. Le président du Fc Metz Carlo Molinari
saute sur l’occasion et enrôle l’ancien joueur du Casa Sport. Dans l’antre du
mythique Saint Symphorien, Bocandé multiplie les exploits. En trois ans, il
inscrit plus d’une trentaine de buts en 63 matches. Durant la saison 1985-1986,
Bocandé devient le meilleur buteur de la L1 avec 23 réalisations. Une
performance qu’aucun joueur du Sud Sahara n’a réussi malgré les grands noms de
football que sont Raoul Diagne, Larbi ben Barka, Laurent Pokou et autres Salif
Keïta «Domingo» qui ont fait les beaux jours de l’élite du football européen.
Du coup il devient le prince de Saint Symphorien aux côtés des grands joueurs
comme les français Carmello Michiche, Philipe Hinsberger, le Yougoslave (avant
l’éclatement) Tony Kurbos.
Les supporters du Fc Metz ont en mémoire sans doute sa plus belle
prestation avec son club. Vainqueur de la coupe de France en 1984, Metz
s’engage en coupe des coupes plus connu sous le nom C2. Après avoir perdu à
domicile (2-4) devant le Fc Barcelone, le club catalan sous la houlette de
l’entraîneur anglais Terry Vennables et le capitaine allemand Bernd Schuster
subit l’humiliation. Au tableau d’affichage du Camp Nou, on pouvait lire (1-4)
dont un but et trois passes décisives de Bocandé.
Signes
particuliers : Patriotisme et générosité
Certes,
l’histoire retiendra que Bocandé a des qualités sportives incontestables, mais
également son patriotisme tout comme sa générosité sont sans faille. Bocandé,
c’est l’international sénégalais qui a le plus souvent renoncé à ses primes de
match. Quelqu’un qui aime son pays plus que Bocandé, on en trouve rarement dans
le milieu sportif à défaut de dire qu’il n’en existe pas. Pour répondre à
l’appel de la nation, il n’hésitait pas à se faire expulser à l’occasion d’un
match de D1 française. Preuve de son patriotisme, après sa radiation à vie, il
n’a pas hésité une seule seconde à répondre à l’appel de la mère patrie. Un
patriotisme qui justifie l’engagement et la hargne qui l’habitaient, quand il
s’agissait de défendre le maillot national. «Boc», comme l’appelaient ses
intimes, adorait son pays. Il y a consacré tout son temps uniquement pour le
développement du football sénégalais. Bocandé était un homme généreux.
Lorsqu’il faisait les beaux jours de Seraing, il n’a pas hésité un seul instant
à amener deux de ses amis du Casa Sport en
Belgique. Il s’agit de Tony Coly et Mamadou Teuw qui, par la suite vont devenir
professionnels et intégrer l’équipe nationale.
L’homme qui a réconcilié le Sénégal à la Can
Une éventuelle participation à une phase finale de Coupe
d’Afrique des nations (Can), les Sénégalais et amateurs de ballon rond en
rêvaient depuis Asmara, en Ethiopie, en 1968. Les années passent et les
résultats sont les mêmes. Le Sénégal est toujours éliminé. Mais, un après midi
de septembre 1985, c’est l’espoir qui renaît. Pour son quatrième match avec les
«Lions» du football, c’est une nouvelle page qui s’ouvre dans l’histoire du
football sénégalais avec l’apport décisif d’un certain Jules François Bocandé au
sommet de son art. Dans un stade Demba Diop dans le quartier dakarois des SICAP
plein à craquer, le natif de Ziguinchor
réussit un triplé historique et qualifie le Sénégal à la Can d’Egypte 1986, après
dix sept ans d’absence. Ainsi, le lion à la crinière très visible, à la tête
d’une bande de talentueux footballeurs, ramène le Sénégal dans le gotha des
grandes nations de football africaines. Mais cette histoire avait commencé à
Lomé où le Sénégal s’était imposé sur la plus petite des marques devant le Togo
avec un but de Bocandé sur un service de son ami Mamadou Teuw. En 1990, lors de
la Can algérienne, Bocandé fut grièvement blessé par le stoppeur des «Fennecs»
Megharia. Contraint de sortir, l'image d'un capitaine en larmes sur le banc de
touche et tenant sa cuisse lors d'un mémorable match de demi-finale contre
l'Algérie est fraîche dans les mémoires des Sénégalais. C’est le même cas de
figure de ce quart de finale perdu devant le Cameroun dans le jardin de Léopold
Senghor au cours de Sénégal 92. A la fin de sa belle carrière, Jules Bocandé va
servir le football sénégalais sur le banc. Comme ce fut le cas en 1994-95 en formant un duo avec Boubacar Sarr
«Locotte». Il reviendra sur le banc sous le magistère de Bruno Metsu durant la belle épopée des «Lions» au début
des années 2000. Là aussi c’est le meneur d’hommes, la référence et le gagneur
que le Président Malick Sy « Souris » a amené dans la tanière à côté
des coachs Metsu et Sarr, pour servir d’exemples aux jeunes prodiges. El
Hadj Diouf, un des leaders de groupes qui nous a tant fait rêver l’avait bien
compris. « C’est aujourd’hui que le Sénégal va se rendre compte qu’il a
perdu un grand homme. (…) Il y a Pelé et Maradona, mais Bocandé était ma
référence par son courage, sa dignité. Même s’il y avait Bruno Metsu, lui
(Bocandé) seul me suffisait pour les discours d’avant match. Car il parlait
avec le cœur, parfois même jusqu’à pleurer. Si aujourd’hui nous avons pu faire
quelque chose, il faut reconnaître que c’est lui qui a commencé la révolution.
Que tout le peuple prie pour lui », témoigne El Hadj Ousseynou Diouf dans
l’As du 08 mai. Adieu le Patriote sincère.
Tidiou
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